Voilà plusieurs semaines que j'ai été contacté par un lecteur qui me proposait de faire une ballade et une séance photo avec son Alpine. Proposition alléchante pour une voiture très populaire et qui me permettrait de continuer mon petit tour des constructeurs automobiles. Lors des trois derniers mois de 2010, je crois pouvoir compter les jours de ciel bleu sur les doigts d'une main et nous n'avons donc guère pu en profiter. Finalement, la voiture devant partir en Savoie tout début 2011, nous avons fixé un rendez vous le 30 décembre pour faire la séance coûte que coûte. Je vous propose d'en découvrir le résultat après ce résumé de l'histoire d'Alpine, pour ceux que cela intéresse.
Depuis les années 50, les marques Françaises de voitures de sport n'ont pas été légion, bien que chacun des trois grands constructeurs nationaux ait brillé en compétition chacun à son tour (Formule 1, WRC, Rallye Raid...). Hélas, on ne sait trop pourquoi, ces victoires n'ont jamais permis l'émergence de véritables supersportives. De 1984 à 2000, la marque Venturi tenta de percer sur le créneau mais la marque Française de voitures de sport la plus emblématique reste bien sûr Alpine.
Au commencement se trouve Jean Rédélé. Né à Dieppe en 1922, l'homme se lance après la guerre dans la reconversion des GMC et autres Dodge abandonnés par les américains. Il devient à 26 ans le plus jeune concessionnaire Renault et profite à plein du succès de la 4CV. L'homme est intéressé par la compétition et remporte la course Dieppe - Rouen puis le Rallye de Dieppe, avant de courir les courses les plus prestigieuses: Tour de France, Coupe des Alpes... Il remporte trois victoires aux Mille Miglia dans la catégorie des Sport 750 cm3. Rédélé aspire désormais à construire ses propres voitures. Tout comme un certain Colin Chapman, il a compris tout l'intérêt de la légèreté. Après l'échec d'un prototype en aluminium (la Marquis), il opte pour des carrosseries en polyester et fibre de verre pour son nouveau projet. Se souvenant du plaisir ressenti à piloter dans les Alpes, il décide de donner le nom d'Alpine à ses premiers modèles. Sur base de 4CV, trois A106, une bleue, une blanche et une rouge sont présentées dans la cour de l'usine Renault au PDG Pierre Dreyfus le 14 juillet 1955. La Régie Renault a exceptionnellement donné son assentiment à une création qu'elle n'avait pourtant pas sollicitée et fournira les châssis et le moteur notamment, l'assemblage et la carrosserie étant réalisés par les artisans d'Alpine. De 1955 à 1960, 251 voitures seront produites en version coach, cabriolet et coupé sport, ce dernier remportant déjà de nombreuses victoires en compétition.
Quand sort la Dauphine et son moteur matriculé 1080 (au lieu de 1060 pour la 4CV), Alpine évolue logiquement en sortant l'A108. Puis en 1962, la voiture reçoit le moteur de la R8 et devient A110, un sigle destiné à devenir mythique. La voiture utilise un châssis poutre en acier avec une carrosserie en fibre de verre-polyester et le moteur est placé en porte à faux arrière. A la fin des années 60, le bloc en fonte de la R8 est remplacé par celui en aluminium de la R16, qui développe 125 chevaux. Le succès de ce modèle impose la construction d'une nouvelle usine avenue de Beauté à Dieppe, inaugurée en 1970. La marque connait alors son apogée. Les victoires en rallyes se multiplient: Alpine remporte le Championnat International des Marques en 1971 avec la 1600S avant d'être sacrée Champion du Monde des Constructeurs en 1973, année de création du WRC, avec la 1800. Cette année là, Alpine réalise notamment deux triplés au Monte Carlo et au Tour de Corse.
Parallèlement aux succès de la Berlinette est présentée en 1971 l'A310 qui doit conquérir une clientèle moins sportive grâce à un confort supérieur et à une configuration 2+2. La construction de la nouvelle usine et une série de grèves ont plongé les comptes dans le rouge, ce qui oblige la marque a précipiter la mise sur le marché de l'A310. Hélas, comme on pouvait s'y attendre, de nombreux problèmes de réglage et de finition plombent le nouveau modèle et en 1973, Renault devient actionnaire majoritaire d'Alpine, Jean Rédélé conservant le poste de PDG. Finalement, cette décision aura peut être sauvé Alpine car le choc pétrolier frappe de plein fouet l'industrie automobile quelques mois plus tard, et tout particulièrement les constructeurs de voitures de sport. Sur le plan de la compétition, rien ne va plus non plus: l'A110 arrive en bout de développement lorsque Lancia sort son arme fatale, spécialement conçue pour le rallye: la Stratos, qui ne laissera guère de place à la concurrence.
Les ventes d'Alpine remontent un peu à partir de 1976 avec l'installation du V6 PRV dans l'A310 et la marque s'illustre au Mans en remportant les 24 Heures en 1978 grâce à l'Alpine Renault A 442 B. La production de l'A310 s'arrête en 1984 après 11 484 exemplaires produits en 15 ans mais la marque Alpine, tout comme Abarth, est déjà reléguée au rôle de caution pour les modèles sportifs de la maison mère. D'ailleurs, quand la GTA succède à l'A310 en 1985, c'est sous le nom Renault Alpine (jusqu'en 1989), ce qui n'aidera pas forcément à son succès dans un créneau où l'image est essentielle. En 1990, la mention Renault disparait de la carrosserie mais le mal est fait. La GTA se sera finalement écoulée à 6494 exemplaires en 8 ans.
Les choix discutables de Renault se poursuivent en 1991 avec la présentation de l'A610. Faute d'un budget initial suffisant, la voiture présente un air de famille marqué avec la GTA, pouvant laisser croire à un simple restylage alors qu'il s'agit d'un tout nouveau modèle, et de qualité. De plus, la présentation de cette sportive n'est pas soutenue en compétition. Les résultats sont catastrophiques, la voiture ne se vend qu'à 818 exemplaires en 5 ans de production, avec respectivement 36, 30 et 14 voitures vendues de 1993 à 1995. Le déficit d'image est irrémédiable, alors que la voiture coûte presque aussi cher qu'une Porsche Carrera 2. Cette fois, c'est la mort d'Alpine qui fusionne avec la structure Renault Sport. Le tort de Renault aura certainement été de vouloir absolument accoler son nom à celui d'Alpine, ce qui a plus nui au prestige de ce dernier qu'augmenté le prestige du losange. Aucune Ferrari ne s'est jamais appelée Ferrari-Fiat, et heureusement.
Aujourd'hui, l'usine de Dieppe est encore en fonctionnement mais ne produit que des Mégane et des Clio. Alpine fait désormais figure de serpent de mer: en 2006, Carlos Ghosn évoque une renaissance de la marque sur la base de la Nissan 350Z, classée sans suite. Puis en 2008, on parle d'un roadster à bas prix dans le style de la MX-5, mais là encore le projet tombe à l'eau. Actuellement, le véhicule le plus haut de gamme chez Renault est l'Espace, devant la peu charismatique Laguna Coupé et la non moins ratée Lattitude. Autant dire que rien n'est gagné pour une résurrection d'Alpine.
Jean Rédélé, lui, a définitivement jeté
l'éponge le 10 août 2007, à l'âge de 85 ans. L'aventure aura
tout de même été belle.
Revenons donc à notre shooting.
Le ciel est gris mais en tout cas, il n'en tombe rien, ce qui
est déjà pas mal. Je suis vraiment excité à l'idée de pouvoir
enfin tester mes nouveaux objectifs: le 17-55 f2.8 est installé
sur le 7D et le 70-200 f2.8 sur le 40D. Le rendez vous est fixé
à quelques kilomètres de Besançon, à 13h30. A mon arrivée, je
suis accueilli par une vraie famille de passionnés. D'ailleurs
le papa et le frère vont nous suivre en voiture pour profiter de
la ballade et de la séance photo: une originalité très
sympathique. La voiture est superbe, et nous partons rapidement
direction la station service la plus proche.
Tandis que Jean-Baptiste fait le plein et prépare son additif de
plomb, je m'intéresse de plus près à l'intérieur de l'Alpine. Il
est ... surprenant. Le volant est superbe,
l'instrumentation complète,
mais l'intérieur tapissé de moquette (je ne vois pas d'autre
terme) est un peu déstabilisant, de même que la visserie
apparente.
Je ne compterais pas trop sur le maintien des sièges baquets en
conduite sportive.
Globalement, c'est spartiate et dépouillé comme on peut
l'attendre d'une sportive mais la finition est vraiment limite.
C'est d'autant plus évident que cet exemplaire est vraiment
parfaitement conservé. Jean-Baptiste me confie que la voiture
supporte très mal le soleil (entre autres) qui a tendance à
faire jaunir les compteurs oranges et à se montrer impitoyable
avec la carrosserie en fibre de verre.
C'est parti! En deux jours, le manteau neigeux a beaucoup
souffert du redoux et la neige qui reste est devenue vraiment
très sale. Puisqu'il s'agit d'un shooting d'hiver pur et dur,
autant y aller à fond: nous avons donc décidé de prendre la
direction des plateaux du Haut Doubs à la recherche d'étendues
immaculées. Le bruit du V6 est omniprésent dans l'habitacle,
très sourd; les suspensions sont fermes mais pas dures; les
sièges sont assez mous, comme leur aspect le laissait deviner.
Les accélérations sont franches pour 150 chevaux: le moteur
n'est pas extrêmement puissant mais la voiture est très légère,
980 kilos, ce qui lui confère également une grande agilité que
nous ne prendrons pas le risque de mettre à l'épreuve.
Notre première étape nous mène sur le parking
de l'Hôtel du Moulin à Bonnétage, à environ 850 mètres
d'altitude. L'Hôtel est situé en bordure d'un lac qui pourrait
offrir un point de vue intéressant. Le lac est évidemment gelé
et nous nous retrouvons dans le brouillard. Qu'importe,
Voici le fameux lac. La glace lui va bien mais il aurait sans doute été mieux mis en valeur avec quelques rayons de soleil. En tout cas, l'endroit est à retenir car le cadre est sympathique et pourrait sans doute être réutilisé en été.
Jean-Baptiste est designer donc je lui demande quelles sont les caractéristiques les plus frappantes du dessin de l'A310 selon lui. Sans hésiter, il me répond qu'il s'agit du passage de roue arrière dont l'arc est situé au dessus de la ligne de caisse.
Sans oublier les phares encastrés qui me rappellent un peu le look de la Ford Interceptor noire de Mad Max.
Phares qu'il serait dommage de ne pas allumer.
Au 70-200, on voit bien la différence de profondeur de champ entre le f2.8 et f6.3. Le brouillard peut aussi être un atout, en particulier quand on n'a pas le choix.
Ce modèle bleu Alpine date de 1981. Il a donc hérité des trains roulants de la Renault 5 Turbo (à partir de 1980) qui ont grandement amélioré le comportement routier. Les jantes sont également celles de la R5 et recevaient à l'époque les pneus Michelin TRX. Ces pneus, dits à tension réparties, n'ont été installés que sur quelques modèles sportifs (dont la Ferrari 308) avec des jantes spécifiques en centimètres au lieu des pouces traditionnels. Ils coûtent aujourd'hui une petite fortune mais il est possible de faire fabriquer des jantes identiques à l'origine, en pouces, ce qui permet de recevoir des pneumatiques modernes.
Voyons maintenant le cœur de la bête: le V6 PRV 2.7 litres, installé en position arrière. Bon, comme pour l'intérieur, on ne peut pas dire que l'esthétique ait été très soignée, avec cette grosse gamelle pas très gracieuse.
Le moteur est équipé de deux carburateurs: un simple corps qui fonctionne en permanence et un double corps qui entre en action quand la pédale d'accélérateur est enfoncée au delà d'un certain stade.
Les gamelles portant encore l'autocollant d'origine sont assez rares.
Encore quelques images,
et il est temps de reprendre la route pour aller chercher le soleil. Jean-Baptiste en a vu sur la webcam de la station de ski de Métabief mais çà veut dire monter encore.
Direction Frambouhans, où l'on va frôler les 1000 mètres d'altitude. Bah, les routes sont dégagées et la température clémente. En revanche, l'air est très humide et un peu de condensation commence à se former sur les cadrans de la console centrale. Les anciennes! La neige est déjà plus propre en tout cas. Nous faisons un premier arrêt au bord d'une petite route.
Puis un peu plus loin. Le shooting de Noël est signé.
Le soleil affleure derrière les nuages,
envoyant quelques rayons sur une colline au loin, mais pas encore sur nous. Il y a presque du ciel bleu, c'est la fête.
A quelques mètres, je trouve cette position au dessus d'une pente très photogénique. On dirait un fauve tapi en train de guetter sa proie. L'arrière fastback est très photogénique. Encore une fois, si Mad Max s'était déroulé dans le nord au lieu d'en Australie, on aurait peut être pu y voir ce genre de plan.
Nous remontons en voiture et quelques centaines de mètres plus tard, c'est la délivrance. Sur le plateau suivant, le ciel est dégagé et le soleil est là, en train de rejoindre l'horizon. Il est presque 16 heures et la lumière rasante est parfaite. C'est le genre de moments précieux pour les photographes, quand on passe au dessus du brouillard pour déboucher sur une lumière sublime dans un décor approprié. Du pur bonheur, surtout après deux mois d'abstinence.
Evidemment, il faut un peu mouiller les chaussures pour profiter pleinement du point de vue mais qu'importe.
Le soleil étant très bas, on est très vite à contre jour mais le 17-55 s'en accommode tant bien que mal.
Il est tout de même préférable de retourner la voiture pour profiter de l'arrière.
Et de l'avant sous un autre angle. On n'a pas la mer, pas toujours le soleil mais on a tout de même la chance de vivre dans une belle région.
La lumière magique commence à tomber. Une dernière fois les pieds dans la neige avant de partir.
Ce modèle porte le badge au losange ainsi que la mention Renault Alpine sous le becquet. A l'image des Dino 308 GT4, de nombreux propriétaires en ont pris ombrage et ont remplacé le losange par le badge Alpine et ont remplacé le bandeau par un qui annonce Alpine Renault. Il faut dire que toute l'histoire des Alpine après la Berlinette n'a été faite que des décisions discutables et de messages confus de la part de la Régie, aboutissant à un véritable gâchis par manque de vision à long terme et d'investissement. Les connaisseurs apprécieront l'état impeccable du becquet qui a une fâcheuse tendance à blanchir.
Encore quelques détails, comme les gros pots d'échappement, l'énorme tunnel de transmission qui sépare les places des passager arrières.
La vision arrière est typique de toutes les sportives à moteur arrière: symbolique.
Il est temps de prendre le chemin du retour.
Le brouillard que nous avons devancé est en train de monter mais rien ne presse pour rentrer. La voiture tourne comme une horloge: le gros V6 est robuste. Si il n'existe plus de réseau Alpine, le nombre de passionnés de la marque est tel qu'il est facile de faire refabriquer des pièces usées ou cassées pour une somme raisonnable, dès lors que l'on s'adresse aux bonnes personnes.
Les essuie-glaces viennent se rejoindre au milieu du pare-brise alors que nous affrontons une fine brise. Le point de vue du designer sur différents sujets est absolument passionnant et le voyage du retour passe très rapidement.
Hélas, de retour au bercail, je dois prendre congé très rapidement pour honorer un rendez vous et je n'ai pas l'occasion de discuter plus longuement avec les autres membres de la famille, ce que je ne peux que regretter. En tout cas, je profite de cette conclusion pour les remercier de leur accueil et de leur sympathie. Un grand merci bien sûr à Jean Baptiste d'avoir osé sortir son fragile bijou par une météo mi-figue mi-raisin, j'espère que les photos seront une récompense à la hauteur de la prise de risque. Pour ma part, je suis très heureux d'avoir fait plus ample connaissance avec Alpine, une marque que je ne connaissais guère au delà des Berlinettes du Tour Auto. L'A310 me semble être une très belle voiture passion, abordable, robuste, pour ceux qu'une finition rustique ne rebutent pas. En revanche, elle n'a manifestement pas été conçue pour durer et les exemplaires en aussi bon état que celle ci semblent assez rares. Après quoi l'utilisation est fortement limitée par une grande fragilité, notamment au niveau de la carrosserie en fibre de verre qui craquelle facilement.
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