Chaque année un peu avant Noël, la célèbre maison Bonhams organise sa vente aux enchères consacrée à "Ferrari et les Prestigieuses Italiennes" dans l'une des stations de ski les plus huppées de Suisse: Gstaad. Jusqu'à maintenant, l'état supposé des routes m'a toujours poussé à négliger cet évènement mais cette année, le plateau est trop alléchant pour renoncer. J'ai donc surveillé à distance les conditions météorologiques via les webcams de la station. Jusqu'au matin j'ai hésité entre la bonne vieille Seat de madame, équipée de pneus neige et ma Mégane, sans équipements mais avec la vignette Suisse. Au final, j'ai estimé que l'ESP de la dernière compenserait les pneus de la première. Départ sous la pluie à 7h00 par 1°, il ne faut pas s'aventurer loin dans le Haut Doubs pour que la neige remplace la pluie. Heureusement, tout au long du voyage les routes sont salées à mort et il n'y a quasiment pas de neige sur la chaussée. J'arrive donc sans encombres dans la station vers 10h15, au moment où un rayon de soleil éclaire le Palace qui domine le village. Me voilà soulagé car j'appréhendais pas mal ce voyage, bien que ce soit l'un des plus courts de l'année.
Après la vente record de RM Auctions de Maranello en mai, celle ci se présente dans un contexte morose: la crise est passée par là. Des rumeurs inquiétantes courent sur les stocks de Ferrari et la maison mère, Fiat, pourrait être obligé de s'allier à un autre constructeur majeur. A priori donc, les évaluations des lots faites par Bonhams peuvent sembler surestimées et si les propriétaires sont trop gourmands, de nombreuses voitures pourraient ne pas atteindre leur prix de réserve. De fait, cette dernière vente de l'année donnera une idée de la tendance du marché pour le début de 2009. Je pénètre dans le Palace et on m'indique le chemin du parking au niveau -1. Là je dois faire l'acquisition d'un superbe et épais catalogue, pour 30 euros car je n'avais pas les 50 CHF requis avec moi. De la moquette blanc cassé a été installée sur tout le sol du parking: il ne faudra pas qu'une des belles anciennes nous fasse une petite crise d'incontinence. Il y a vraiment beaucoup de voitures, il est temps de sortir le trépied et de commencer à faire le tour.
On commence avec 0903GT, une sublime 250 Tour de France série II à simple louvre, la quatrième d'une série de 36, présentée ici dans sa configuration d'origine, telle qu'elle fut livrée en Suède en 1958. Son histoire est un peu singulière puisqu'en 1972, la voiture fut vendue à un ingénieur de chez Scania qui la démonta complètement et la stocka dans une quarantaine de caisses en vue d'une restauration par ses soins. La voiture resta en pièces détachées pendant 34 ans avant d'être acquise et réassemblée en 2006. Une histoire aussi extraordinaire que peu commune, bien heureusement. En tout cas, elle est vraiment en superbe état.
Une fois terminé ma première rotation autour de la TDF, Etienne arrive. En bon chasseur qu'il est, il a commencé par les deux stars de la vente qui sont exposées au niveau principal, dans la salle ou auront lieu les enchères. Cela permet notamment de prendre des images avant l'installation des cordons de sécurité. Suivant ce conseil avisé, je remonte à mon tour. Trop tard, les cordons sont en cours de positionnement. Tant pis, j'en fais peu de cas et je passe outre.
Première des deux stars, cette 121LM sn 0558LM que j'avais déjà croisée en tout début d'année à Retromobile est le cinquième exemplaire des spyders de 6 cylindres et 4.4 litres qui coururent pour le compte de la Scuderia en 1955. Cette voiture fit ses débuts en avril au Tour de Sicile, une course de plus de 1000 km autour de l'île où Umberto Maglioli prit la deuxième place derrière Piero Taruffi dans une autre 121LM. A la fin de ce même mois, elle fut emmenée dans la légendaire course de Mille Miglia par Eugenio Castellotti où elle dut abandonner après un long duel avec la non moins célèbre Mercedes 300 SLR N° 722 de Stirling Moss. Remise en état, elle s'aligna aux 24H du Mans de triste mémoire, pilotée par Maglioli et Phil Hill. Elle dut malheureusement se retirer vers minuit, alors qu'elle occupait la quatrième place. Elle eut ensuite une belle carrière de l'autre coté de l'Atlantique, notamment aux mains de Caroll Shelby avant de faire partie de la très select collection Bardinon au Mas du Clos. En 1986, elle fut acquise par Antoine Midy et resta sa propriété jusqu'à son décès en mai 2007.
Les vues arrières ne sont pas évidentes. En voici donc une prise dans un des miroirs. Même si 0558LM arbore une patine de bon aloi, celle qui figure sur la photo est bien celle du miroir.
La deuxième vedette, 0094E, une 212 Export Spider de 1951 avait été exposée elle aussi à Retromobile mais en 2007. Sa carrosserie particulière est signée de la Carrozzeria Motto et se distingue par cet étonnant phare supplémentaire situé en position centrale en bas de la calandre. Elle est motorisée par un V12 de 2.5L. La production totale de 212 Export fut de 28 exemplaires dont seulement 2 reçurent (apparemment) une carrosserie Motto. En 1951, dans sa livrée grise actuelle, elle participa aux Mille Miglia où elle se classa à une superbe troisième place, emmenée par Piero Scotti. Après cet exceptionnel fait d'armes, Scotti s'illustra dans quelques courses en Italie avant que 0094E ne prenne le chemin de l'Argentine où elle s'imposa dans plusieurs épreuves. En 1984, elle rallia la France dans la collection d'Antoine Midy qui l'engagea dans de nombreuses manifestations publiques.
Ces deux voitures ont un palmarès exceptionnel et un historique limpide, chose rare chez Ferrari. Leur propriétaire les emmenait souvent dans diverses manifestations mais si elles sont là aujourd'hui, c'est dans le cadre du règlement de la succession de M Midy. Elles sont donc vendues par un cabinet d'avocat sans connaissances ni sensibilité particulières envers ces incroyables machines. Au final, la 121 LM est partie post enchères pour 3 900 000 CHF (2 570 000 euros), très en dessous de l'estimation mais la 212 est restée.
Egalement en vente, un grand nombre d'automobilia, qui décorent la salle des ventes.
Je redescends ensuite au -1. Le vendredi semble bien être le meilleur jour pour les photos, il n'y aura de toute la journée jamais plus d'une dizaine de personnes en même temps dans le vaste parking. Continuons donc à faire le tour des lots. Voici une 365 GTB4 Berlinetta Boxer sn 18057 de 1974, dans une livrée bicolore traditionnelle pour ce modèle.
Dino 246 GTS sn 07620
Plus de 50 000 euros furent dépensés par le quatrième propriétaire de 91502 pour la modifier aux spécifications LM. Ce travail a été effectué par Euromotor à Padoue, poussant notamment la cylindrée à 3.6L. Cette voiture avait été vendue ici même l'année dernière mais son heureux acquéreur s'est aperçu qu'il n'en avait en définitive pas l'usage, d'où son retour cette année.
Une 275 GTB/4 sn 09617, parfaitement restaurée et qui figura dans le magazine "La vie de l'auto" du 28 octobre 2004.
0435GT m'est familière puisque je l'ai déjà croisée en rouge chez Carugatti à Genève puis dans ce gris au Tour Auto et à Geneva Classic cette année. Cette 250 est une pré-série dessinée par Pinin Farina. Ce dernier n'ayant alors pas les moyens de supporter une production en série importante, la construction du modèle fut confiée à Boano, devenant ainsi connu sous le nom de 250 Boano. Ce modèle de 1956 fut un des premiers à prendre en compte le confort de son conducteur et des passagers. Il semblerait que 0435GT soit la quatrième d'une série de neuf voitures construites par Pinin Farina (ce nombre étant sujet à caution).
Une Daytona série 1 sn 13345,. Pour meubler un peu, parlons technique quelques instants. Suite au cours de photographie que j'ai reçu de Thomas au Mugello, j'ai potassé un peu un guide du Canon 40D et j'ai réalisé la plupart des images ici présentes en mode M, en forçant à 200 ISO et ouverture à f22. Les temps de pose deviennent très longs, toujours supérieurs à 1" mais les résultats sont vraiment satisfaisants en netteté et en piqué.
Restons dans le gris avec cette 365 GT4 BB sn 18219, vendue post enchères 168 000 CHF (110 000 EUR).
Grise encore cette 308 GTB Vetroresina sn 21025 qui est partie pour 69 600 CHF (45 292 EUR), au milieu de sa fourchette.
Cette Dino 246GT sn 00742 fut la propriété du pilote Hans Hermann qui fit partie de l'équipe Mercedes dans les années 50 avant de passer chez Porsche et de remporter les 12H de Sebring et la Targa Florio mais surtout les 24H du Mans en 1970 à bord d'une Porsche 917K. Vendue pour 174 000 CHF (113 000EUR), juste au dessus de l'estimation la plus pessimiste.
Quittons les 365 BB pour une 512BBi de 1983, sn 45451
Une magnifique 250 GT Lusso sn 5783, tout juste sortie de restauration
Cette 308 GTB sn 20373 fait partie des 11 exemplaires préparés au spécifications FIA Groupe 4 par le garage Michelotto de Padoue. Le résultat est une voiture ultra légère de 1050 kg environ pour 300 chevaux. 20373 est une des quatre voitures destinées à l'écurie Pozzi. Elle fut utilisée en 1982, notamment par Jean Claude Andruet, comme voiture de reconnaissance en Championnat du Monde des Rallyes. Pas de palmarès donc mais une rareté tout de même. Vous pouvez remarquer que le plafond est assez bas et floqué, ce qui provoque parfois des reflets disgracieux sur les carrosseries mais çà reste marginal.
Cette 275 GTS sn 06819 est également une redoublante. Il semblerait cependant qu'entre temps elle aurait fait un détour chez Classiche pour obtenir sa certification. Vendue pour 618 000 CHF (402 000 euros) en dessous de l'estimation. Une moins value de 200 000 CHF en un an (achetée 800 000 CHF l'année dernière), pas un très bon placement.
11967 est un cas intéressant. Vous l'aurez remarqué, des nombreuses Ferrari, en particulier des 250GTE ou 330 GT2+2, ont été sacrifiées pour procéder à de douteuses répliques de 250 GTO, de California, ou même de 250TR. Il s'agit ici d'un coupé 365 GT 2+2 de 1969 recarrossée dans l'esprit de la 365 California Spyder de 1966 dont seulement 14 exemplaires furent construits. La nuance importante pour moi est qu'il s'agit ici de s'inspirer du modèle original et non de le copier exactement pour semer la confusion sur l'authenticité de la voiture. On retrouve donc sur 11967 l'avant très joli de la 365 Spyder mais le propriétaire a fait l'économie de l'arrière du modèle original qui est vraiment atroce. Dès lors, nous sommes pour moi en présence d'une carrosserie spéciale et non d'une réplique (ou recréation, on peut appeler çà comme on veut, çà reste une copie) ce qui est à mon avis tout à fait différent et beaucoup plus justifiable.
Une autre 512 BB sn 30035, aux ailes larges
Avant que la mode ne soit au blanc, cette 250 GTE de 1962, sn 3003 était sortie d'usine de cette couleur, particulièrement seyante sur ce modèle. Partie pour 150 800 CHF (98 134 EUR) au ras des pâquerettes de son estimation.
Une 275 GTB de 1965, sn 06653. Elle a été acquise par le vendeur en juin de cette année et certifiée par Classiche. Rien ne dit cependant que l'opération de spéculation sera un succès. Elle s'est finalement vendue pour 900 000 CHF (593 000 EUR)
A l'origine, la 365 GTB/4 dite Daytona n'avait pas été conçue pour être déclinée en spyder. Le savoir faire de Pininfarina permit cependant à l'usine de créer 123 spyders, face aux 1300 berlines. Bien sûr cette disproportion conduit de nombreux clients à faire convertir leur coupé. 14995 fut convertie en Californie par Richard Straman et fut pendant quinze ans la propriété de Mel Blanc, la voix de Bugs Bunny, Daffy Duck ou de Sylvestre avant d'arriver en Suisse. Vendue 251 700 CHF, soit 163 796 euros, dans le bas de la fourchette d'estimation).
Une autre Daytona, sn 16189
Une des plus difficiles à photographier, full black sur sol blanc: une Enzo sn 136739 de 2004, parmi les derniers exemplaires construits. Cette voiture n'a que 10 000 km et son dernier propriétaire (depuis 2006) n'a fait que 400 km à son bord. Certaines choses me dépasseront toujours mais bon, j'ai du mal à voir les Ferrari comme des investissements. Je ne peux que souhaiter un bon bouillon à ceux qui achètent froidement ces merveilles pour les enfermer et les ressortir uniquement pour les vendre, sans aucune passion.
Ici une 250GT Séries II coupé sn 1629GT de1959. Il faut bien regarder ce modèle pour se rendre compte qu'il de couleur bleue (blu scuro/navy blue) et pas noire. Selon Bonhams, sur 371 250 GT coupé produites, seules 100 existeraient toujours aujourd'hui, ce qui est un taux vraiment très faible pour Ferrari. J'espère que cette estimation est sujette à caution.
Dino 246GT sn 01860, vendue 179 550 CHF (116 840 EUR), un peu au dessus de l'estimation médiane.
Une 330 GT2+2 sn 6219 dédicacée par Sergio Pininfarina, qui a parcouru seulement 150 km depuis son acquisition par son dernier propriétaire en octobre 2007. Je n'en remets pas une couche, vous avez compris ma position. Vendue pour 127 600 CHF (83 000 euros), en plein milieu de l'estimation.
Une Mondial QV Cabriolet sn 50893, vendue 20 880 CHF (13 500 euros), en dessous de son estimation.
et puisqu'il faut bien en parler, une 250 GTE sn 4275 massacrée pour en faire une réplique de 250 TR. No comment, si ce n'est le prix de vente post enchères 235 000 CHF (154 000 EUR), déjà incompréhensible.
Pour quitter en douceur la marque au cheval cabré, voici une moto de 900cc construite par David Kay et inspirée des anciennes MV Agusta. Son principal intérêt ici est d'avoir reçu l'autorisation officielle de Piero Ferrari pour arborer le célèbre badge de la marque. Un concept amusant même si Bonhams avoue que l'engin n'a jamais été testé jusqu'à ses limites, elle est plus destinée à être vue comme une œuvre d'art que comme un moyen de déplacement.
Voilà qui me permet de faire la transition avec le reste des prestigieuses Italiennes dont cette sublime Lancia Aurelia B24 Spider America de 1955. Je découvre le passé de la marque suite à l'article consacré à la D24 dans le dernier Classic & Sports Car et j'avoue que ce modèle est tout à fait convaincant, avec une magnifique malle arrière comme je les aime.
Non moins désirable, cette Maserati 3500 GT Vignale Spyder, équipée d'un hard top. Vendue 346 050 CHF (225 200 EUR), au milieu de la fourchette prévue.
Tout au fond du parking, on trouve cette magnifique OSCA 1600 GT Coupé. La 1600 GT fur produite à 128 exemplaires mais seulement 24 d'entre eux furent carrossés par la Carozzeria Fissore, les autres étant confiés à Zagato. C'est l'un des 24 qui figure ici. J'aime particulièrement ce style, qui se rapproche un peu de la Lancia Fulvia. Une belle surprise mais ce petit bijou est parti en plein centre de son estimation: 75 000 CHF.
La doyenne de la vente, une Alfa Romeo 6C de 1933. C'est sûrement un tort mais j'avoue que je suis passé vite sur celle ci.
Vers quatorze heures, après quatre heures de shooting, je m'aperçois que le temps a tourné à la neige. Le temps de faire quelques plans supplémentaires de la 250 TDF qui m'a vraiment tapé dans l'oeil, et il me semble plus prudent de prendre le chemin du retour.
En sortant sur le parvis de l'hôtel, je tombe sur le dernier lot de la vente, cette Maserati Quattroporte Royale. Elle s'est finalement vendue pour 27 840 CHF (18 100 EUR), soit près du double de son estimation. La meilleure affaire du weekend (pour le vendeur s'entend)?
Le voyage du retour se fera également sans encombre, en un peu moins de trois heures. Pour Bonhams, le résultat s'annonce probablement très décevant: les principaux lots n'ont pas atteint leur prix de réserve et les autres ont été vendus en bas ou au milieu de leur fourchette d'estimation. On est loin des excès de la vente RM de Maranello en mai et on peut en déduire que les gros lots resteront peut être à l'abri durant l'année à venir.
Au final, je suis très content d'avoir fait le déplacement: pas mal de modèles intéressants, un cadre finalement moins austère que je ne le craignais. Les voitures sont un peu serrées mais çà va encore. Je pense que je risque de devenir un habitué, histoire de meubler les mois d'hiver traditionnellement bien calmes. Un petit teaser de la vente de Retromobile pour les amateurs: Bugatti 57S Atalante Coupé, Duesenberg J Murphy Convertible coupé, Bugatti Type 18 Sports ex Roland Garros, une Lancia Aurelia B24 Spyder et surtout (pour les tifosis, une 250 GT SWB bleue nuit ayant appartenu à l'homme qui est en train de flinguer la F1 à coup de fric, j'ai nommé Bernie Ecclestone.
Merci à Bonhams pour la minutieuse description de leurs lots et la superbe qualité de leur catalogue.
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